René Vautier, la Caméra citoyenne

Né d’un père ouvrier d’usine et d’une mère institutrice, il mène sa première activité militante au sein de la Résistance en 1943, alors qu’il est âgé de 15 ans, ce qui lui vaut plusieurs décorations. Il est décoré de la Croix de guerre à 16 ans, responsable du groupe « jeunes » du clan René Madec, cité à l’Ordre de la Nation par le général Charles de Gaulle pour faits de Résistance (1944).

Après des études secondaires au lycée de Quimper, il est diplômé de l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC) en 1948, section réalisation.

En 1950, il réalise son premier film, Afrique 50, qui était une simple commande de la Ligue de l’enseignement destinée à mettre en valeur la mission éducative de la France dans ses colonies. Sur place, il décide de témoigner d’une réalité non commandée, le film sera interdit pendant plus de quarante ans. Ce sera le premier film anticolonialiste français, qui lui vaudra une condamnation d’un an de prison pour avoir « procédé à des prises de vues sans l’autorisation du gouverneur de la Haute-Volta.

En 1954, il relate la véritable histoire de la conquête de l’Algérie en 1830 avec images, textes et témoignages des acteurs de l’époque à l’appui. Dans « Une nation l’Algérie », réalisé alors que vient d’éclater l’insurrection nationaliste en Algérie, René Vautier dévoile l’histoire de ce pays avant la colonisation française et conclut que « de toute façon l’Algérie sera indépendante et qu’il conviendra de discuter avec ceux qui se battent pour cette indépendance avant que trop de sang ne coule ». Ce discours est insupportable aux tenants de l’Algérie française et René Vautier, poursuivi pour « atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat », bascule bientôt dans la clandestinité et une forme de lutte plus radicale aux côtés des indépendantistes algériens.

En 1956, il gagne la Tunisie où, tout en réalisant des films pour cet Etat nouvellement indépendant (notamment, « Les Anneaux d’or« ), il prend contact avec le Front de libération nationale (FLN).
Il tourne dans les maquis algériens (dans les Aurès-Némentchas), ainsi qu’à la frontière tunisienne. Ces images servent de support à des reportages courts pour la télévision, diffusés notamment dans le bloc de l’Est, mais surtout au film « Algérie en flammes » dont René Vautier assure le montage à Berlin-Est début 1958, en version française, allemande et arabe. À l’encontre de la propagande française qui présentait les « fellaghas » algériens comme des bandes inorganisées de « hors-la-loi » et des barbares sanguinaires, le film révèle l’existence d’une armée régulière (l’ALN), proche du peuple et efficace dans sa lutte pour l’indépendance. Tandis que le film est largement diffusé à travers le monde, concourant à la reconnaissance du problème algérien et à l’internationalisation du conflit, son auteur, victime des divisions internes au sein du FLN, passe vingt-cinq mois dans une prison algérienne en Tunisie. Ces images sont également intégrées au premier film produit en 1961 par le service cinéma du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) afin d’être projeté à la tribune de l’ONU : « Djazaïrouna (Notre Algérie) ».

En 1962, il part dès l’indépendance s’installer à Alger où il est nommé Directeur du Centre Audiovisuel d’Alger (de 1962 à 1965). Ce centre est destiné à formé cinéastes et techniciens.

En 1963,  il réalise avec ses premiers élèves (dont Ahmed Rachedi), « Peuple en marche », un documentaire sur les premiers mois de l’Algérie indépendante.

En 1965, il travaille, avec Mouloud Mammeri, au scénario d’un film sur l’histoire de la colonisation et des luttes de décolonisation, dont la réalisation est confiée à Ahmed Rachedi par le jeune Centre national du cinéma algérien : « L’aube des damnés ».

Parallèlement, il est conseillé à la production pour la première grande fiction algérienne sur la guerre qui vient de s’achever : «  Le Vent des Aurès« , du cinéaste algérien Mohamed Lakhdar-Hamina qui remportera la Palme d’Or à Cannes, dix ans plus tard, pour « Chroniques des années de braise ».

En 1970, de retour en France, il fonde l’Unité de Production Cinématographique Bretagne (UPCB) dans la perspective de « filmer au pays ».

Avoir 20 ans dans les Aures

En 1972, à partir des récits d’anciens appelés du contingent, il réalise Avoir 20 ans dans les Aurès (son film de fiction le plus connu, récompensé du prix de la critique internationale au Festival de Cannes. Le film raconte sept jours de la vie d’un commando de chasse dans les Aurès, en avril 1961 ou « comment peut-on mettre des jeunes gens en situation de se conduire en criminels de guerre ? »

En janvier 1973,  il commence une grève de la faim, exigeant « […] la suppression de la possibilité,  pour la commission de censure cinématographique, de censurer des films sans fournir de raisons ; et l’interdiction, pour cette commission, de demander coupes ou refus de visa pour des critères politiques ». René Vautier aura raison de la commission. Il sera soutenu par Claude Sautet, Alain Resnais et Robert Enrico. Au terme de cette grève, la loi sera modifiée.

En 1974, il reçoit un hommage spécial du jury du Film antiraciste pour l’ensemble de son œuvre.

Gilles Servat dans la Folle de Toujane de René Vautier (1973-1974). Photo. Félix le Garrec

En 1974,  « La Folle de Toujane » est inspiré d’un fait divers dont il avait été témoin parmi les réfugiés algériens en Tunisie. Il intègre dans cette fiction ses propres images d’archives, tournées pendant la guerre et notamment ces plans très impressionnants des victimes du bombardement français sur le village de Sakhiet-Sidi-Youssef en février 1958.  « La Folle de Toujane », sous-titré « comment on devient un ennemi de l’intérieur » interroge la double notion de colonisation extérieure et intérieure.

En 1976, il réalise « Front Line », film inconnu qui n’a jamais obtenu de visa d’exploita-tion en France.  Il y dénonce le système de l’apartheid.

En 1978, « Marée Noire, Colère Rouge » est une Chronique de la lutte des bretons contre le mazout de l’Amoco-Cadiz. Ce film s’attache à démontrer la campagne d’information mensongère qui suivit l’accident ainsi que ses conséquences écologiques désastreuses. René Vautier dénonce les mesures dérisoires prises alors par les gouvernements, les intérêts financiers, le trafic des pétroliers et ceux des remorqueurs et le rôle des médias complices de cette politique. Face à cela, la colère du peuple breton et des élus locaux qui ne furent jamais consultés.

Déjà le sang de Mai ensemençait Novembre

En 1982, il réalise de nouveau un film sur l’Algérie Déjà le sang de mai ensemençait novembre  Ce documentaire veut rétablir la vérité sur un certains nombre d’évènements historiques, qui sont soit escamotés du récit que la France a fait de la colonisation de l’Algérie, soit relatés mais à travers encore une fois le regard triomphant du colonisateur.
Il s’agit de témoignages rares de personnalités connues, comme l’écrivain Kateb Yacine, ou de simples algériens qui s’expriment sur l’histoire commune de l’Algérie et de la France du temps de la colonisation.
 Déjà le sang de mai ensemençait novembre est une charge qui tord le cou à plusieurs idées reçues.

En 1984 une société de production indépendante: « Images sans chaînes ».

En 1985,  René Vautier réalise « A propos de l’autre détail » à partir des témoignages de victimes algériennes torturées pendant la guerre par le lieutenant Jean-Marie Le Pen, mis en perspective par des analyses de l’historien Pierre Vidal-Naquet et de Paul Teitgen, ancien responsable de la police pendant la bataille d’Alger qui démissionna pour protester contre les tortures et les exécutions sommaires. Au retour du procès intenté par Le Pen aux journaux Le Canard Enchaîné et Libération pour diffamation à propos de son action en Algérie, au cours duquel ces images ont été projetées à décharge, René Vautier découvre toutes les bobines de ses entretiens filmés détruites par un commando.

En 1986 avec « Vous avez dit Français ? » René Vautier, nous propose une autre histoire de France, celle des vagues d’immigration successives et la façon dont elles se sont plus ou moins intégrées dans le supposé creuset national, ce qui permet une réflexion informée sur la notion d’identité collective.
Le film reçoit le Prix des Peuples au Festival de Cannes (prix de la Fédération Internationale des ciné-clubs).

En 1993, il relate la lutte de douze femmes de Couëron (Loire-Atlantqiue) qui séquestrent le patron de l’usine où travaillent leurs époux, frères ou pères dans « Quand les femmes ont pris la colère ».

En 1995, à la demande Musée de la Résistance Nationale , il raconte l’histoire de la deuxième guerre guerre à travers des poèmes écrits par des grand poètes (Aragon, Eluard, Desnos), ou écrits dans les prisons et les camps de déportation (« Et le mot frère et le mot camarade »).

En 1998,  ill publie ses mémoires, sous le titre « Caméra citoyenne » et reçoit le Grand Prix de la Société civile des auteurs multimédia (SCAM) pour l’ensemble de son œuvre.

Tout au long de sa carrière, René Vautier, s’est efforcé de mettre « l’image et le son à disposition de ceux à qui les pouvoirs établis les refusent », pour montrer « ce que sont les gens et ce qu’ils souhaitent ».

Filmographie

  • 1998 – Et le mot frère et le mot camarade (documentaire, 50’)
  • 1998 – Dialogue d’images en temps de guerre (documentaire)
  • 1995 – L’Huma, la lutte, l’Huma, la fête (documentaire, 64’)
  • 1995 – Hirochirac 1995 (documentaire, 65’)
  • 1991 – Allons enfants du bicentenaire (documentaire, 76’)
  • 1988 – Mission pacifique, coréalisation Michel Le Thomas (documentaire, 54’)
  • 1987 – Déjà le sang de mai ensemençait novembre (documentaire, 70’)
  • 1987 – Vous avez dit : Français ? (documentaire, 120’)
  • 1986 – Paris pour la paix, coréalisation Gérard Binse (fiction, 52’)
  • 1985 – À propos de… l’autre détail (documentaire, 45’)
  • 1985 – Chateaubriand, mémoire vivante (documentaire, 65’)
  • 1985 – Tournevache (documentaire, 60’)
  • 1984 – La nuit du dernier recours, film collectif (documentaire)
  • 1984 – Immigration : Amiens (documentaire)
  • 1982 – Déjà le sang de Mai ensemençait Novembre, (documentaire, 60’)
  • 1980 – Vacances en Giscardie (documentaire, 45’)
  • 1980 – Le Scorpion de Saint-Nazaire (documentaire, 13’)
  • 1978 – Marée noire, colère rouge (documentaire, 64’)
  • 1978 – Le Poisson commande, coréalisation Yann Le Masson, Nicole Le Garrec (documentaire, 31’)
  • 1976 – Frontline, coréalisation Brigitte Criton et Buana Kabue (documentaire, 75’)
  • 1975 – Quand tu disais Valéry, coréalisation Nicole Le Garrec (documentaire, 125’)
  • 1974 – Le Remords, coréalisation Nicole le Garrec (fiction, 30’)
  • 1974 – La Folle de Toujane, coréalisation Nicole Le Garrec (fiction, 130’)
  • 1973 – Transmission d’expérience ouvrière (documentaire, 15’)
  • 1972 – Avoir 20 ans dans les Aurès (fiction, 90’)
  • 1972 – Terrains pour l’aventure (documentaire, 52’)
  • 1971 – Mourir pour des images (documentaire, 45’)
  • 1971 – Les Ajoncs (fiction, 10’)
  • 1971 – Techniquement si simple (fiction, 15’)
  • 1970 – La caravelle (fiction, 8’)
  • 1970 – Les Trois cousins (fiction 10’)
  • 1969 – Classe de lutte, coréalisation Chris Marker (documentaire, 37’)
  • 1964 – Le Glas (documentaire, 5’)
  • 1962 – Un seul acteur, le peuple (documentaire)
  • 1960 – Karim et Leïla
  • 1957 – Algérie en flammes (documentaire, 25’)
  • 1956 – Anneaux d’or (fiction, 14’)
  • 1956 – Plages tunisiennes (fiction)
  • 1955 – Aux yeux de tourterelle (documentaire)
  • 1955 – Pavillon chinois (documentaire)
  • 1954 – Une nation l’Algérie, coréalisation Jean Lodz (documentaire)
  • 1953 – D’autres sont seuls au monde !, film collectif (documentaire, 30’)
  • 1951 – Un homme est mort (documentaire, 12’)
  • 1951 – L’Odet (documentaire, 10’)
  • 1950 – Afrique 50 (documentaire – 20’)

(Source : Filmographie établie par Oriane Brun, Arte 31/03/2003)

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.